Le 4 mai 2016, le « Plan autisme » était l’objet d’un débat lors de la séance plénière du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Retrouvez, ci-dessous, mon intervention complète à cette occasion.
Mme Virginie Defrang-Firket (MR). – Madame la Ministre, quarante-cinq mille cas d’autisme – et autant de familles concernées – sont recensés en Fédération Wallonie-Bruxelles. Ce n’est pas rien. En effet, il est généralement reconnu par la communauté scientifique qu’un enfant sur cent naît avec une forme plus ou moins grave d’autisme. Ce n’est pas rien non plus.
Votre plan a le mérite d’exister, mais ce n’est donc pas une stratégie au sens où nous l’entendons. Pourtant il y a urgence. Depuis deux ans, j’ai reçu et reçois encore tellement d’appels au secours, de témoignages poignants de parents désemparés, désespérés! Appels que j’ai tenté de traduire, comme d’autres, dans de multiples questions parlementaires adressées aux ministres concernés et, avec mon groupe, dans une proposition de résolution en octobre 2015 pour une meilleure prise en charge de l’autisme.
En tant que mère, je l’ai fait pour toutes ces mamans qui voient, impuissantes, la souffrance dans les yeux de leurs enfants prisonniers d’eux-mêmes. C’est une souffrance que l’on ne peut imaginer et qui se vit tous les jours, 24 heures sur 24. Je l’ai vécue le temps de quelques après-midis. Mais ce n’est rien par rapport au quotidien de ces familles. Il est temps à présent de leur apporter des réponses concrètes pour reconnaître cette douleur et la soulager.
Je rappelle qu’en Belgique, la reconnaissance de l’autisme comme handicap spécifique a été officialisée en 1994 par la Communauté flamande, et seulement en 2004 par la Communauté fran- çaise. Cela explique en partie le manque cruel de structures adaptées aux personnes avec autisme dans la partie francophone du pays. Et depuis la sixième réforme de l’État, le diagnostic, l’accueil et l’encadrement multidisciplinaire de personnes atteintes de TSA relèvent des compétences des entités fédérées.
Nous avons de multiples questions à vous poser.
Le plan a été présenté à la presse le 25 avril. À quand une présentation en bonne et due forme devant notre Parlement? Votre collègue du gouvernement wallon a pris ce rendez-vous avec le Parlement de Wallonie. Qu’en est-il de votre côté?
Les parlementaires que nous sommes souhaitent disposer d’une version complète et exhaustive du plan. Pouvez-vous vous y engager concrètement? Nous ne disposons finalement que de grandes lignes très vagues grappillées sur vos sites internet. Rassurez-nous: vous avez bien un document plus développé que celui-là? Je suppose que vous avez une version présentant, pour chaque mesure concrète, la liste des organes concernés par la mise en œuvre, les moyens budgétaires alloués et le calendrier élaboré. Les documents dont nous disposons ne prévoient ni budget pour les mesures qui relèvent de la Fédération Wallonie-Bruxelles ni échéance précise pour la mise en œuvre: c’est le flou absolu!
Une autre chose nous étonne: le plan est sorti seulement dix jours après votre nomination comme ministre. Vous êtes certes extrêmement compétente, mais dans de tels délais et vu la charge de travail qui est la vôtre, quelle est votre réelle contribution à ces textes? Peut-être vous êtes-vous contentée d’entériner les choix de votre prédécesseure?
Comment les parents et associations concernés ont-ils été concrètement associés à cette dé- marche? Ceux avec qui j’ai eu des contacts ces jours-ci ont certes reçu une bouffée d’oxygène, un signal positif de reconnaissance, mais une trop grande part de leurs questions reste encore sans réponse.
À côté des familles, il semble également logique que l’ONE, par ses missions en accueil de la petite enfance et en promotion de la santé à l’école, soit associé à la mise en œuvre de ce plan. Est-ce le cas? Les échos qui nous reviennent ne vont hélas pas dans ce sens.
Vous dites que l’ONE intensifiera ses formations. Fort bien. Mais à partir de quand? Comment? Pour qui? Davantage de personnes recevront-elles ces formations au sein de l’Office ou le nombre de formations sera-t-il augmenté? On ne trouve nulle part dans le document de ré- ponse à ces questions.
On le sait, trop peu de crèches, d’écoles ou de centres utilisent des méthodologies adaptées ou appliquent les bonnes pratiques (Teacch, ABA, Pecs, etc.). Nous manquons cruellement de programmes de stimulation précoce et intensive pour la rééducation des jeunes enfants autistes en âge préscolaire, programmes qui permettent pourtant une amélioration très significative des symptômes et une autonomie pratiquement optimale. Quel est votre avis sur cette question?
En ce qui concerne la formation, vous semblez tous oublier, dans cette démarche transversale, votre collègue responsable de l’Enseignement supérieur. Or la formation au sein de toutes les filières susceptibles d’être en contact avec des personnes autistes est essentielle. Je pense aux médecins, psychologues, infirmiers, enseignants, puéricultrices.
Nous manquons aussi de personnel disposant d’une vraie connaissance de ce handicap. Pourquoi ne pas faire la promotion de ces filières? Il existe une année de spécialisation en orthopédagogie pour élèves handicapés physiques et mentaux. Elle comprend des cours de psychologie cognitive, de méthodologie adaptée aux différents troubles, d’ateliers de formation pratique, etc.
En outre la Fondation Susa (Service universitaire spécialisé pour personnes avec autisme) a créé avec l’université de Mons un certificat universitaire de spécialisation, intitulé «Intervention auprès de personnes ayant de l’autisme et des troubles graves du développement». Ce certificat peut être obtenu par toute personne possédant un master en psychologie, en sciences de l’éducation, dans des disciplines paramédicales, ou titulaires d’un diplôme en médecine générale ou spécialisée. Ce sont des pistes à explorer et à promouvoir.
Pour ce qui regarde la mise en œuvre du plan «autisme», avez-vous prévu des réunions régulières pour faire le point entre vous et avec votre collègue à l’origine de ce plan?
Pouvez-vous vous engager, comme votre homologue à la Région, à nous présenter réguliè- rement une évaluation de l’application de ce plan et à nous tenir informés autrement qu’en répondant à nos questions orales en commission?
Dans l’enseignement de type 2, le document annonce des places à Ixelles, Berchem-SainteAgathe et Charleroi. Vous parlez aussi d’Uccle et du Brabant wallon. N’y avait-il pas des demandes dans d’autres endroits de la Fédération WallonieBruxelles? Comment avez-vous choisi la localisation de ces écoles, sachant que l’inventaire du nombre de places disponibles n’est encore qu’un projet annoncé? Concrètement, combien y aura-t-il de nouvelles places au total? Combien d’enfants risquent encore de rester sur le carreau? Qu’en estil de l’obligation scolaire pour les enfants qui ne trouveront pas de place?
Sur les onze mille enfants autistes en âge scolaire que compte la Fédération WallonieBruxelles, le taux d’inclusion dans l’enseignement ordinaire est extrêmement faible. Moins de mille enfants seraient accueillis dans l’enseignement ordinaire (maternel, primaire et secondaire). Vous parlez dans votre communiqué d’un projet-pilote de classes spécialisées au sein de l’enseignement ordinaire. Très bien, mais combien de places y aura-t-il? Quand? Vous parlez d’un comité de suivi. Qui en fera partie? Y aura-t-il des heures en commun avec les élèves de l’enseignement ordinaire? Nous n’avons aucune information sur ces points.
Le communiqué parle du dépistage et d’un diagnostic précoce. Bonne idée, mais qu’entendez-vous par «précoce»? À quel âge souhaitez-vous que les enfants soient diagnostiqués?
Les avis divergent sur la question. Quel est l’âge requis? Trois ans, prônait votre prédécesseur. C’est fort tard, surtout lorsque l’on se réfugie derrière la crainte des faux diagnostics et des stigmatisations qui peuvent augmenter l’angoisse des parents. Or c’est bien plus stressant pour eux de ne pas savoir de quoi souffre leur enfant, et de perdre ainsi des années de traitement parce que l’on a trop attendu. C’est bien plus dommageable de voir son enfant porter l’étiquette d’un hyperactif, d’un turbulent ingérable alors qu’il souffre en fait d’un handicap, d’un trouble grave du développement cérébral.
L’autisme reste trop peu connu. Il est souvent associé à un trouble psychologique. Il faut briser ce tabou. Un enfant ne devient pas autiste, il naît avec ce trouble. L’éducation et la qualité des liens parents-enfants n’ont rien à voir dans la survenue de l’autisme. Quand on sait de quoi il s’agit, on accepte mieux la différence et c’est là que réside une des clés de la réussite de l’intégration de ces personnes au sein de la société.
En outre, le dépistage précoce a un autre avantage. Plus le syndrome est détecté tôt, plus l’enfant développera son autonomie et ses capacités à communiquer avec autrui, plus il augmentera ses chances de progression et plus les parents seront soulagés et pourront continuer à envisager leur épanouissement personnel avec, par exemple, la poursuite d’ une carrière professionnelle.
N’oublions pas qu’un enfant devient inévitablement un adulte. Un adulte avec autisme, instruit et autonome coûtera bien moins à la société que s’il est enfermé dans une institution psychiatrique à charge de l’État.
De nombreuses personnes autistes sont en situation de surhandicap, car elles ne trouvent pas de place appropriée au sein de nos sociétés, que ce soit à la crèche, à l’école, dans les structures d’hébergement et dans la vie active. Nous le déplorons.
Je conclurai par cette phrase: le temps des parents n’est pas celui des politiques. Il est temps d’agir, rapidement et efficacement.