1918 : Lettre d’un soldat à sa fille
Ma très chère petite fille, Nous devions partir à l’assaut ce matin à l’aube. Hier soir, on nous a donné le plein de munitions et ce matin, avec le café, on a eu droit à la goutte. C’est toujours comme ça, avant l’assaut, on a moins peur après. Je n’en ai pas bu, car même si j’ai peur, je sais que je ne reviendrai pas de cette bataille. Je ne saurais te dire pourquoi, mais je le sais, c’est au-delà du pressentiment. Ça fait quatre ans que la guerre dure et nous avons l’habitude de la mort.
Nous avons tous accepté de donner notre vie pour notre patrie, pour que nos familles vivent libres.
Je vais donc aller me battre, dès que l’ordre sera donné de sortir de la tranchée.
On raconte que les Allemands vont demander la paix, mais on nous l’a dit tant de fois… Moi je n’y crois plus, et nous sommes si fatigués.
Je suis un simple paysan, je n’ai jamais appris à tuer, je n’ai jamais voulu tuer personne. Et pourtant depuis 1914, j’en ai lancé des grenades, j’en ai tiré des balles de fusil, mais je n’ai jamais su si un seul de mes projectiles a atteint un soldat ennemi. Je préférerais que non, car ceux d’en face sont des pauvres bougres comme nous.
Ça fait quatre ans que nous vivons comme des rats, avec les rats, à patauger dans la boue. En ce moment ça va encore car c’est la fin de l’été et le sol est à peu près sec, mais quand vient l’automne c’est abominable.
Après trois jours de pluie il y a cinquante centimètres d’eau dans la tranchée, on a les pieds mouillés en permanence et on ne sait pas où s’abriter pour se reposer ou dormir.
Je n’en peux plus de toute cette sauvagerie, je voudrais simplement revenir à la maison, travailler ma terre et voir grandir mes enfants. Je voudrais juste être vivant parmi les miens.
Marcel vient de se tordre la cheville en positionnant les échelles de départ, il ne montera pas avec nous lors de la prochaine attaque. C’est à lui que j’ai confié cette lettre et quelques valeurs.
Adieu ma chère fille, je t’aime pour toujours.
Mesdames, Messieurs du Collège communal, Madame la présidente du CPAS, Mesdames, Messieurs du conseil commmunal et du CPAS, Monsieur le Chef de corps, Madame la présidente de Neupré action laïque, Monsieur l’Abbé, chers Enfants du conseil communal des enfants de Neupré
Vous les jeunes, Mesdames, messieurs, Chers enfants,MERCI pour votre présence.
C’était il y a cent ans. Et c’était hier finalement. J’ai avec moi un casque de soldat de cette fameuse guerre 14-18, un casque de l’armée belge, c’est un casque Adrian modèle 15 avec un lion à l’avant, symbole du pays à l’époque. Il a été porté par mon arrière grand-père. Il s’appelait Paul ; Il avait 19 ans.
Ce casque passe de génération en génération : ma grand=mère, mon père, moi-même aujourd’hui. Il est un symbole que l’on se passe comme un flambeau, comme un témoignage, un appel pour dire « plus jamais ça ».
Ce casque, c’est du concret, c’est un morceau de ma famille, comme il pourrait être de n’importe quelle autre famille. Il nous crie chaque fois qu’on le regarde, que ce pourquoi ces hommes et ces femmes se sont battus n’est jamais acquis pour toujours..
Quand on entend dire « A quoi ça sert de revenir sur le passé avec ce genre de cérémonies ? » et tant de fois, j’ai entendu cette phrase..
Le devoir de mémoire, c’est ne pas oublier le sacrifice de ces jeunes qui auraient pu être nos enfants, nos maris, nos compagnons, nos voisins ou nos amis.
Le devoir de mémoire, c’est l’obligation morale, notre responsabilité de se souvenir d’un tel événement historique tragique et de ses victimes, pour éviter qu’un événement de ce type ne se reproduise pas.
Le devoir de mémoire, c’est rappeler que le respect de l’autre, l’acceptation de la différence, la liberté, toutes ces valeurs universelles qui nous sont si chères doivent en permanence être le moteur de nos actions au quotidien et doivent plus que jamais être transmises à nos jeunes.
Pourquoi, me direz-vous?
Parce que le 11 novembre 1918 à 11 heures, sur la ligne de front, les clairons sonnaient le « cessez le feu ». Ce n’était pas la paix qui a été signée plus tard certes, c’était l’arrêt des combats. Et c’était déjà beaucoup.
Cette guerre atroce était enfin terminée. Cela devait être la der des der, tout le monde était unanime sur la question.
L’histoire a hélas montré et montre encore aujourd’hui le contraire malgré tant de souffrances et de tant de vies sacrifiées jusqu’à la dernière heure de cette grande guerre. Les hommes n’ont hélas pas tiré les leçons de tout ça.
On raconte que lorsque le Général Eisenhower a pénétré avec ses soldats dans le camp de Dachau, lui et ses soldats sont restés sans voix: comment a-t-on pu, sur terre, sur cette terre habitée par des hommes, aller si loin dans l’horreur ? Une horreur à laquelle il est impossible de donner un nom, tant cette horreur défie l’esprit humain, sa raison.
Voilà pourquoi il faut préserver la mémoire : parce que l’humain peut se perdre, il peut se pervertir, comme il s’est perverti complètement dans l’univers nazi.
Si ceux qui ont vécu cette guerre sanglante ne sont plus là pour relater ce qu’ils ont vécu, pour exprimer l’ampleur des blessures en tout genre, alors c’est à nous à prendre le relais avec des commémorations de ce type, en présence de tous, jeunes et moins jeunes pour être ensuite chacun à sa manière, à son niveau, des transmetteurs d’alerte et rappeler qu’il y a des limites à ne pas franchir..
Dans son discours, le Roi Philippe a déclaré : « Aux jeunes, je voudrais dire ceci : l e jour viendra où nous ne pourrons plus compter sur la présence chaleureuse d’anciens combattants qui ont défendu notre territoire. Je m’engage à garder vivantes, avec vous, la mémoire de ceux qui se sont sacrifiés pour nous et les valeurs pour lesquelles ils se sont battus. Et vous, quel plus bel hommage pouvez-vous leur rendre qu’en devenant vous-même des héros ? En restant fidèles à vous-mêmes, à votre vocation, tout en vous donnant aux autres. En faisant le choix de la profondeur plutôt que du superficiel et de l’éphémère. En rayonnant autour de vous ». Je vous invite à garder tout cela en mémoire et vous remercie pour votre attention.